Le yoga et les règles

Le yoga et les règles

Si vous êtes pratiquant·e de yoga, vous avez certainement dû entendre au cours d’une séance votre professeur·e indiquer : « si vous avez vos règles, ne faites pas cette posture ». Moi aussi, et c’est une phrase qui m’a toujours interpelée. J’ai longtemps essayé de comprendre et de trouver une cohérence qui me convienne face à ces restrictions.

Par exemple, j’ai souvent entendu qu’il fallait éviter les torsions pendant les règles, car cela risquait d’augmenter le flux. Jusqu’à ce qu’une formatrice calée en anatomie m’indique que les torsions permettaient d’étirer et détendre le ventre et donc, pouvaient soulager les maux de ventre liés aux règles. Mêmes restrictions, et réserves face à ces restrictions, concernant les postures sur le ventre (c’est plus auto-massage qu’étirement du ventre dont il est question).

Par exemple toujours, il est souvent conseillé d’éviter les inversions. La plupart du temps, il s’agit de la chandelle et la posture sur la tête lorsque l’on donne cette indication.

Sauf que :

– Les inversions, en yoga, ce sont toutes les postures où la cage thoracique est plus basse que le nombril. Cela ne se limite donc pas aux deux postures citées plus haut, mais cela inclus aussi le chien tête en bas, toutes les postures de flexions avant debout, le demi-pont… Cela fait donc beaucoup de postures qu’il faudrait éviter pendant ces périodes.

– Et plus encore, d’un point de vue physiologique, les inversions peuvent soulager les douleurs de règles : cela décharge le périnée, et met moins de pression sur les organes du bassin, dont l’utérus

Concernant les pranayamas, dans Light on Pranayama, de BKS Iyengar, qui est un des maîtres du yoga qui l’a popularisé en occident, on peut lire que la pratique de Kapalabhati est déconseillée aux femmes car cela peut causer un prolapsus de l’utérus et d’autres organes abdominaux. On peut y lire aussi que la pratique d’Uddiyana Bandha doit être évitée pendant les règles. C’est dommage, car personnellement, ce sont deux exercices qui me soulage beaucoup lors de cette période, grâce à l’effet de brassage, d’auto-massage (et ce n’est vraiment pas facile de masser cette zone du corps) et d’étirement des fascias abdominaux et pelviens.

Mais alors, pourquoi ces restrictions ?

Je me souviens que l’on avait abordé cette question lors de ma formation initiale de professeur e yoga, en Inde. Notre groupe était composé exclusivement de femmes, occidentales pour la plupart, et lorsque, au cours de cette conversation, notre formateur nous a expliqué que les femmes ne devaient pas rentrer dans certains temples pendant leur période de règles, car elles risquaient d’irriter la divinité puisqu’elles sont elles-mêmes irritées pendant cette période, je ne vous raconte pas les regards noirs et désapprobateurs qu’il a reçus. Il nous a ensuite expliqué que les règles étaient à la fois le début et la fin d’un cycle, et que ces périodes étaient propices à des pratiques plus douces, d’introspection, de méditation et de pranayamas. Bon, d’accord. Je comprends un peu mieux. Ce n’est pas un interdit, c’est un conseil, ou une symbolique que chacun·e est libre de s’approprier, ou pas.

Des raisons médicales ?

Certaines personnes affirment que les inversions pendant les règles pourraient favoriser l’endométriose. Cela peut se comprendre : intuitivement, on se dit qu’en posture inversée, le sang menstruel va refluer.

Sauf que : 1/ l’expulsion du sang menstruel n’est pas provoquée par la gravité mais par les contractions utérines et 2/ il n’y a pas de corrélation entre les menstruations rétrogrades (qui concerne 90% des personnes ayant leurs règles) et l’endométriose (10%). Donc, pas de risque avéré à ce niveau là.

Des raisons sociétales ?

Plus largement, le Yoga lui-aussi (comme notre société occidentale) n’est pas exempt de sexisme. Je rappelle que, contrairement à ce que laisse penser la fréquentation des salles de yoga aujourd’hui en Europe et aux USA, le yoga a initialement été pensé par des hommes pour être pratiqué par des hommes. La société indienne, d’où le yoga prend ses racines, est elle aussi sexiste (en témoigne l’exemple ci-dessus ;-)) et des tabous entourant les règles sont encore très présents aujourd’hui (certains temples sont effectivement interdits aux personnes en période de règles).

Des raisons symboliques liées à la philosophie du yoga ?

Certains yogis considèrent que, pendant la période de règles (tout comme au cours de la grossesse, ou de l’ovulation d’ailleurs), l’énergie prédominante est Apana. Apana, c’est une des énergies qui sous-tendent le Prana, l’énergie vitale globale qui circule dans le corps (j’aime bien l’idée de voir le Prana comme nos sensations corporelles). Apana est l’énergie de l’exécration, qui descend. Et si on se met la tête à l’envers, forcément, celle n’est plus dans le bon sens. Ce renversement d’Apana pourrait alors provoquer des règles plus longues, mais aussi des ballonnements, ou des inconforts de manière générale. C’est pour cela qu’il serait préférable d’éviter les inversions. Lors d’un week-end de formation sur le yoga prénatal au Centre Sivananda d’Orléans, j’avais interrogé la formatrice à ce sujet (sur la grossesse plus que les règles, mais toujours avec cette histoire d’Apana). Sa réponse indiquait que pour déboussoler Apana, il faudrait garder la posture pendant très longtemps, et que ce n’était donc pas problématique de pratiquer des inversions.

Autre exemple, dans la pratique de l’Ashtanga Vinyasa Yoga, codifié par Patabi Jois, la pratique est déconseillée lors des périodes de règles, mais aussi lors de la nouvelle Lune et de la pleine Lune. On peut y voir plus une manière de marquer les événements cycliques, ce qui est cher à la philosophie du yoga et indienne plus généralement.

Comme souvent concernant le yoga, on entend beaucoup de choses qui parfois sont contradictoires. Il faut rappeler les que les traditions philosophiques indiennes sont non dualistes, ce qui favorise cela : ce n’est pas manichéen, et plusieurs visions du monde, parfois opposées, peuvent cohabiter. J’aime assez cette idée : personne n’a tort ou a raison. C’est à chacun·e de se faire son propre avis.

Alors voici le mien

Personnellement, j’ai un point de vue assez tranché sur la question, qui est très fortement teinté par mon féminisme.

Il me semble que bien souvent, ces interdits ou restrictions sont initialement émises par des personnes qui n’ont pas d’utérus, et qui ne sont, de fait, pas concernées. Si j’étais taquine, je dirais « pas d’utérus, pas d’avis ».

En effet, je pense que c’est à la personne concernée de décider de ce qui est bon pour elle et de ce qu’elle a envie de faire, ou ne pas faire, quand elle a ses règles, et à n’importe quel autre moment d’ailleurs. J’ai beaucoup de mal avec le positionnement de certain·e·s prof de yoga qui donnent l’impression de savoir, mieux que la personne elle-même, ce qui est bon ou pas pour elle.

Si vous avez envie de faire des inversions ou des torsions pendant vos règles, pour x ou y raison, très bien. Rappelez-vous que la police du yoga ne viendra pas frapper à votre porte pour vous demander des comptes si vous pratiquez Sirsasana au deuxième jour de votre cycle.

Si vous ne préférez pas vous installer avec les fesses au dessus de la tête pendant cette période, parce que vous ne vous sentez pas à l’aise, que vous avez peu d’énergie, ou pour toute autre raison, très bien aussi.

Si vous souhaitez intégrer dans votre pratique les énergies de la philosophie du yoga, et adapter vos postures en conséquence, très bien également.

Dans tous les cas, je pense qu’en tant que professeure, il est crucial de donner aux élèves les clés de compréhension pour être autonome dans leur pratique. Cela commence par expliquer pourquoi il est conseillé, ou pas, de pratiquer d’une certaine manière, à une période donnée.

Je pense aussi qu’il est important de se rappeler que ce n’est pas parce que l’on pratique le yoga que l’on doit adhérer à tout ce que notre professeur·e nous propose et nous enseigne. Notre formateur en Inde (le même que plus haut) nous disait de garder les concepts auxquels on n’adhérait pas ou que l’on ne comprenait pas dans notre « frigo intérieur » et de les ressortir de temps en temps pour voir comment on se les appropriait, ou pas, avec le temps. On sait qu’ils existent, sans forcément les faire nôtres.

En fait, cette histoire de règles et de restrictions en yoga, je préfère la voir comme un prétexte pour explorer, et voir ce qui convient à chacun·e lors de ces période : qu’est-ce que ça me fait, à moi, quand je pratique des inversions en période de règles ? Est-ce appréciable ? Est-ce que cela me fait du bien ? Comment je me sens dedans ? Est-ce que j’ai remarqué des différences dans mon cycle ? Des variations dans mes sensations ? Est-ce que mon flux est plus ou moins abondant (et est-ce important pour moi) ? Quand je pratique des torsions, est-ce que ça me soulage ? Est-ce que ça tire et c’est inconfortable ?

Cela permet de mieux se connaître corporellement et d’adapter ce que l’on pratique à ses propres besoins.

En ce moment, dans ma pratique personnelle, je vis mes périodes de règles comme une occasion de pratiquer différemment. Ma pratique est alors tournée vers des postures et des pranayamas qui m’aident à soulager mes douleurs de règles et ça, c’est assez merveilleux.

Crédit photo (et non vidéo) : Marie-Laure Duarte